Lire un extrait du tome 3

 

 

 

 

 

 

L’ADAMIADE

CHANT VINGT-QUATRIEME

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


SOMMAIRE DU CHANT VINGT-QUATRIEME

                              LUCIFER aperçoit EVE

 

C

’est donc la quinzième année qu’Abylose, ses fidèles, Roboam et les siens arrivent sur les pentes d’Acremont, puis aux tombes de ses parents. Sa prière au Dieu d’Adam pour eux. Mais ce n’est qu’à la nuit tombée, seule, qu’elle expose sa prière intime à propos d’Adam. Quelqu’un l’épie, mais qui ? C’est Belphégor, qui a suivi Roboam, et qui voudrait savoir où est ce Paradis. Mais le jour vient, qui délivre Abylose de sa proximité obsédante. Convaincue du danger que coure Adam, elle expose son projet à ses proches : ils ne rentreront pas au village mais se dirigeront vers l’Orient, dès demain. Acquiescement général. Seul Thor rentrera au village. Roboam est ravi de ce projet qui, l’espère t’il, la délivrera de ce pouvoir qui le gène. Ixhis, quant à lui, n’ose s’opposer à ce voyage vers celui, il le sait, qu’Abylose n’a pas oublié. A travers la montagne, en route pour l’Eden. Là-bas, Adam prépare l’anniversaire d’Eve et lui offre un chant qu’accompagne sa lyre. Eve s’éveille et apprécie. Amour se réjouit, puis se glace quand la flûte d’Eve lui échappe et se rompt au sol. Tout se tait et le charme se brise. Adam, qui sent le danger, se propose aussitôt d’en aller quérir une autre au sein des bois. Eve apprécie et lui promet sa flamme en retour s’il y parvient. Adam s’élance, laissant la Belle seule, tandis que Satan a retrouvé leur trace et approche du Palais de marbre. Sa résolution devers le couple Humain. Son camouflage pour ne point éveiller l’attention. Mais Nature l’a senti et laisse échapper un frémissement que la panthère Ghar a entendu et qui la met en alerte. Malgré les tentatives d’Eve pour la calmer, celle-ci laisse échapper un rugissement qui avertit Adam. Aussitôt Satan quitte l’aspect d’un agneau pour celui du faucon et renouvelle son discours de haine. L’apparition d’Eve à sa fenêtre pétrifie Lucifer et ses projets. Lucifer épris d’Eve, se souvient du temps où, vice-Roi des Cieux, son sort avait basculé. Et si Eve était l’instrument du pardon divin ? Sa résolution d’aborder Eve. Aveuglement du pêcheur. Eve disparaît et laisse Satan rêveur et sans repos nocturne. Ses langueurs, son espoir d’oublier le Mal. Ses doutes sur le sort à réserver pour Eve, qui l’emmènent aux confins de l’Eden, où le sommeil le gagne et le délivre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


L’ADAMIADE

 

      

 

 

 CHANT VINGT-QUATRIEME

 

 

Retour au présent, quinze années plus tard.

 

C

’est là, qu’après avoir, pour la quinzième fois,

De ce mont traversé les pentes et les bois,

Que leur troupe amoindrie par l’effort se présente.

          La Nature envahit ces pentes verdoyantes

Et l’on n’aperçoit plus des tertres recouverts

Que les contours perdus sous des halliers divers.

          Toutefois ces tombeaux, par le Temps travestis,

Ne trompent nullement leur pupille avertie :

Aussitôt rassemblés sur cette extrémité,

Ils vont droit où la foi, l’amour et la piété,

Par eux seuls conservés, réclament leur présence.

Ainsi l’Esprit divin les guide avec aisance.

          Parvenus où Sarah et son défunt mari


Sous les verts tumulus reposent à l’abri,

Abylose, animant sa troupe familière,

Vers le Dieu inconnu élève sa prière :

-        O Dieu, lui confie t’elle, à Ta suite entraînés

Dans ce lieu où vers Toi sont partis nos aînés,

Nous aimons humblement chaque année revenir

Pour rappeler leurs noms à Ton bon souvenir.

          Ont-ils déjà paru devant Ton trône immense,

Ou bien, sur la frontière où l’Empyrée commence,

Attendent-ils encore avec étonnement

De Ta miséricorde un juste jugement ?

           Tu ne nous réponds point. Du moins, par Ton silence,

Devons-nous espérer toujours dans Ta clémence.

Tes arguments, Seigneur, sont bons et nous aimons

Croire que nos aînés, ici sur Acremont,

Jouissent, avec bonheur et sans sévérité,

Des faveurs que leurs vies leur auront mérité.

          Accepte pour eux deux, mais aussi pour nous-mêmes,

Ces vœux que nous offrons à Ta bonté suprême. »

 

Abylose se tait. Pas un mot pour Adam

N’a été prononcé. La reine, cependant,

Attendait que la Nuit et ses milliers d’étoiles

Déploient sur le pays son étincelant voile

Pour, enfin, vers son Dieu, et dans l’intimité,

De son cœur exposer l’affreuse obscurité.

 

          Lorsque ses compagnons, gagnés par le Sommeil

Et les douces langueurs de ses pavots vermeils[i],

Alors que dans le ciel, par Hécate[ii] éclairé,

Montent leurs rêveries, d’un pas bien préparé

Abylose se glisse en silence où son père,

Aux côtés de Sarah, repose sous la terre.

          Les flambeaux allumés par eux durant le jour

En crépitements mous se consumaient toujours,

Et l’ombre déformée des arbres alentour

Par leurs jeux grossissait ou baissait tour à tour.

 

          Abylose approchait la tombe paternelle

Et bientôt s’apprêtait à prier l’Eternel,

Quand un bruit singulier, comme un chuchotement,

S’élève à ses côtés puis se tait un moment :

          « Un oiseau, se dit-elle, aura sifflé sans doute.

          Le tertre n’est plus loin, achevons notre route »,

Puis, sans considérer un bruit qui n’a plus cours,

Au pied du mausolée[iii] achève son parcours.

          Là, à l’insu de tous, mais point de Belphégor,

Tandis que tout repose autour d’elle et tout dort,

La reine pour Adam ose une intercession

Et dit :

-        Dieu de lumière et de contradiction,

Tandis que de la Nuit l’obscurité s’étend,

Je reste sans nouvelle et cherche en vain Adam.

          Depuis quinze ans, par moi, en tous sens parcourus,

Ces abords ne m’ont pas renseigné. J’avais cru

Qu’en voyant ma détresse et mon long désespoir,

Seigneur, Tu permettrais à mes yeux de revoir

Celui qui, bien qu’Ixhis en soit l’hôte officiel,

En mon cœur alluma les premiers feux du Ciel.

          Hélas ! à ces accents inspirés par l’amour,

Seigneur ! malgré mes vœux, mes pleurs, Tu restes sourd !

Pourquoi donc m’imposer cette inutile épreuve

Puisqu’à Ton amitié j’ai fourni tant de preuves ?

          Ce soir, O Dieu d’amour et de sollicitude,

La Reine, dont Tu vois l’affreuse incertitude,

Doit connaître d’Adam si la vie, si la mort,

Où, comment, et pourquoi, se partagent le sort.

          Parle ! Nous sommes seuls. Voici l’heure choisie…

Mais qu’ai-je ? A cet instant, la crainte me saisit ! »

 

En effet, Abylose avait tendu l’oreille.

Mais au lieu de Jahvé, Père du bon-conseil,

Elle entend dans la nuit noire du firmament

Comme un bruit étouffé, un sourd ricanement.

          Elle implore à nouveau, mais un bruit tout pareil

Se manifeste encor. Nul doute, on la surveille !

Ni ses yeux, ni ses sens, aussitôt alertés,

Ne peuvent renseigner son cœur déconcerté :

          Qui, malgré sa prudence et son pas assuré,

En ces lieux nuitamment ose s’aventurer ?

Roboam ? Non, sa voix était méconnaissable.

Phakir, Cedar, Ossian, d’Othon grands responsables ?

          Elle avait aperçu leurs hautes silhouettes

Rôder autour du feu quand, dépassant leur fête,

Ses pas l’avaient conduite à travers le maquis.

Non, ça n’était pas eux qui l’épiaient, mais qui ?

          Quel cœur assez grossier, ou assez téméraire,

Eut osé profaner le tertre funéraire ?

Non, non, assurément, quelque odieuse cause

Poursuivait sans merci l’orpheline Abylose.

 

          Cette cause, O lecteur, tu la connais toi-même.

C’est le Diable qui, par un adroit stratagème,

Cherche, en troublant la Reine et guettant sa requête,

A trouver des Humains la lointaine cachette.

 

          En vain ! Toute la nuit rôdant autour du mont,

Osant tous les moyens pour savoir, le démon

Sans faiblesse est tenu par la Reine en respect.

Il n’a rien pu savoir sur ce havre de paix.

          Enfin, voici le Jour. L’aurore aux doigts de rose

Délivre du démon la vaillante Abylose.

          Aussitôt que du ciel la timide lumière

De tous ses compagnons a ouvert la paupière,

En deux mots, convaincue qu’Adam est en danger,

Leur révélant comment sa nuit fut dérangée,

D’un projet qui lui vint tout à l’heure à l’esprit

Abylose leur dit :

-        Ne soyez pas surpris

Si la cause de l’Homme et du Dieu qui l’inspire

A formé dans mon cœur ce que j’ai à vous dire.

A l’instant, une voix favorable et connue

          Qui émanait, je crois, du plus profond des Nues,

          M’a confirmé ce choix et m’a dit : « Abylose,

                    Toi qui connais Mon nom et veux servir Ma cause,

                    Tu ne reverras plus très longtemps ton village

                    Car demain, pour l’Orient, vous partez en voyage. »

          Voilà ce qu’elle a dit. J’en voulais savoir plus,

          Mais mes vœux, depuis lors, sont restés superflus.

Pourquoi ? C’est un secret que pour l’instant j’ignore.

Toutefois, le projet, que ces voix corroborent,

Doit être sans retard observé : je le sais,

Adam par un péril est là-bas menacé !

          Si pour l’en prévenir nous n’intervenons pas,

L’avenir, je le crains, pour nous s’assombrira,

Car de sa vocation nous fûmes familiers,

Et le destin de l’Homme est au notre lié.

          Toutefois, à partir je n’oblige personne.

Cet incertain projet que Jéhovah m’ordonne

Par les moins audacieux peut-être délaissé :

Ils rentreront vers ceux que nous avons laissés.

          Quant à moi, s’il le faut, remuant ciel et terre,

Je m’apprête à partir, dès demain, solitaire ! »

 

Tous, ayant entendu ce courageux discours,

Se portent volontaire à lui porter secours :

Chacun veut embrasser cette illustre carrière.

Il n’en est pas un seul pour rester en arrière.

Seul le dévoué Thor, sur ordre d’Abylose,

A regagner les leurs promptement se propose.

 



[i] Voir la note du Chant XXI.

[ii] Voir la note du Chant XIX.

[iii]